PRÉSENTATION
Pr. Babacar Mbaye Diop
Critique d’art, membre d’AICA-International
Artiste plasticien pluridisciplinaire, Soly Cissé s’adresse à son public à travers des supports d’expression variés tels que le dessin, la peinture, la sculpture ou encore la photographie. C’est entre 1996 et 1998 – une période marquée par le début de ses explorations artistiques –, juste après sa sortie de l’École des Beaux-Arts de Dakar, et avant sa première biennale à Sao Paulo dans l’exposition internationale, que Soly commença Le Monde perdu, une série de dessins en noir et blanc exposée pour la première fois au Centre Georges-Pompidou à Paris lors de l’exposition Afrika Remix, qui a eu lieu du 24 mai au 15 août 2005.
Soly est l’un des artistes les plus féconds et les plus originaux de sa génération. Un bon peintre, c’est un peintre qui sait dessiner. Soly sait dessiner. C’est un génie. C’est à son génie que cette série doit son originalité, sa puissance. Je ne connais pas d’artiste qui a su d’écrire aussi simplement que lui la réalité d’un monde par son côté à la fois fantastique et réel. Il ne représente pas, il présente. Il ne dépeint pas non plus, il peint. Il y a là des convergences avec Soulages. Soly a le sens des formes non géométriques. Il n’imite pas le réel. Il ne reproduit pas un paysage, un visage ou une scène ; il n’emprunte pas des formes à la nature, il cherche plutôt à exprimer autre chose qu’on ne retrouve pas dans la nature pour faire surgir de nouvelles images.
Soly est en général connu pour ses séries très colorées telles que Expressions, Cohabitation , Mutation, Héritage, Écosystème ou Mixte, où il met en scène des personnages fantasmagoriques pour réactualiser les rapports entre l’homme et l’animal. Des couleurs qui donnent un effet sensuel d’une beauté à la fois vive, expressive et agressive. L’artiste transpose dans ses œuvres des formes métaphoriques pour diffuser les vices et les inquiétudes de nos sociétés contemporaines.
Cette exposition consacrée à la série du Monde perdu montre des œuvres créées entre 2002 et 2006, mais aussi d’autres plus récentes datant de 2021 et 2024. C’est qui fait la particularité de cette série par rapport à l’ensemble de son œuvre, c’est la spontanéité de l’artiste et l’aisance dans laquelle Soly dessine ses personnages. Un art unique aux multiples facettes. Il y a ainsi du Basquiat dans Soly pour son côté fougueux, du Bacon parce qu’il se soucie plus de l’expression que de l’esthétique, du Picasso pour cette liberté de déformer les choses.
La pulsion de destruction, la perte de sens et le déclin des valeurs ont conduit à la déshumanisation et au désenchantement du monde. C’est ce cri du cœur que Soly Cissé traite dans cette série presque prémonitoire, quand on sait que l’artiste qui représente des personnages amputés dans certains dessins, sera lui-même amputé quelques années plus tard. Dans ce monde désenchanté, la science a permis à l’homme de dominer la nature et de transformer le monde. L’homme s’autodétruit et perd son humanité(…)
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La fin des années 90 et le début des années 2000 sont marqués par des évènements dans le monde qui ont certainement influencé l’artiste : l’horreur du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, la série des attentats à Paris en 1995, Madrid en 2004 ou Londres en 2005, le naufrage du bateau Le Joola en 2002 au Sénégal faisant plus de 2000 morts, le début de l’immigration clandestine avec des centaines de jeunes qui ont péri en mer sur des embarcations de fortune, en voulant rejoindre l’Europe pour trouver une vie meilleure. Les attentats de Bruxelles en 2014 et en 2023, de Berlin en 2016, de Barcelone en 2017. C’est ce monde perdu que Soly représente avec un mélange de scepticisme et conviction, de ruse et d’innocence, de tendresse et de cruauté. Il nous invite à nous adapter dans ce nouveau monde si nous voulons survivre, à nous méfier de ce monde capitaliste sans pitié et très sélectif qui expose l’humanité à des dangers sans précédent. C’est à l’homme de créer le monde dans lequel il veut vivre.
Cette série du Monde perdu illustre ainsi une dimension surréaliste par son aspect mystique et symbolique. Ces œuvres sont un pont entre le réel et l’imaginaire, entre le présent, le passé et le futur, entre le communicable et l’incommunicable, le visible et l’invisible. C’est dire la richesse de cette production artistique. Son style donne un effet sensuel d’une beauté à la fois vive et expressive. Une œuvre puissante et unique. Baudelaire a raison de dire que « l’allégorie est un des plus beaux genres de l’art » (Baudelaire). Soly représente des personnages hybrides, mi-hommes, mi-animaux, burlesques et mythologiques. Un monde « où chacun semble porter le masque d’une de nos tares, d’un de nos vices. Entre critique sociale, comédie humaine et fantasmagorie débridée, l’œuvre de Soly Cissé marque le regard de façon indélébile » (Patrick Descamps).
Mais l’artiste ne se contente pas de reproduire les récits mythiques, il les déconstruit et les reconstruit pour représenter un monde peuplé de créatures chimériques et perdu par la souffrance, les guerres, l’injustice. Un monde où les plus forts écrasent les plus faibles. C’est le cas des Ouïghours et des Kazakhs, minorités musulmanes en Chine victimes d’emprisonnement, de tortures et persécutions ; mais également du nettoyage ethnique des Rohingyas, une minorité musulmane en Birmanie, tués, torturés, violés et déplacés en raison de leur croyance ; les enlèvements et exactions de groupes armés au Burkina Faso, au Nigéria ou au Mali ; les conflits armés en République démocratique du Congo, au Cameroun, en Éthiopie, au Soudan du Sud, etc.
C’est ce monde qu’il fustige dans cette série. Ce qui retient l’attention du spectateur sur ces personnages de Soly, ce sont leurs visages de peur, de solitude et d’angoisse. Mais les faibles de Soly ont des potentialités pour devenir forts par le travail, la persévérance et l’abnégation. « Ce ne sont pas les plus forts ou les plus intelligents qui survivent, mais ceux qui s’adaptent le mieux aux changements », écrivait Darwin. La difficulté nous aide à nous construire ; elle nous rend plus forts et nous pousse à chercher des solutions de survie. Les efforts que nous fournissons pendant les moments difficiles nous permettent d’acquérir de nouvelles capacités d’adaptation. Soly promeut l’égalité des chances et cherche à panser les plaies de la cruauté humaine.
Soly revient sur cette série du Monde perdu pour dénoncer l’horreur qui habite toujours notre monde, pour lancer un appel à la paix et à plus de solidarité. Plus de vingt (20) ans plus tard, et après avoir trouvé des réponses à ses questionnements sur le dessin, Soly reprend cette série pour introduire de nouveaux éléments et une nouvelle écriture plastique. S’il est toujours resté au fusain et au pastel à l’huile, il passe du petit format papier au grand format sur toile, avec un travail graphique techniquement plus élaboré.
Tous les peuples du monde ont un passé glorieux sombré à jamais dans le temps. Soly est à la recherche de cette localité mythique, nommée Saraba par les Sénégalais. Saraba, c’est le pays de l’abondance, de la paix, de la justice et de la démocratie. C’était l’eldorado africain. Le nouveau monde auquel Soly Cissé veut faire référence, c’est le mythe du retour, construit pour combattre la domination coloniale et le capitalisme. Ce nouveau monde est un monde où le peuple africain est libéré des chaines de la domination. Soly nous invite ainsi, à travers cette série, à retourner à Saraba, c’est-à-dire à construire nos pays avec nos propres valeurs. On le voit, le discours plastique de Soly Cissé est très influencé par les récits mythologiques africains et les tares de nos sociétés contemporaines. C’est que les mythes et croyances sont, pour lui, une inépuisable source d’inspiration artistique. Il compose une mythologie personnelle où se confondent des créatures imaginaires et allégoriques. Tous ses personnages font penser aux animaux mythiques et totémiques africains.
Pr Babacar Mbaye Diop, 2024
pour OH GALLERY
évènement
event
O H L I B R A R Y
- L A B I B L I O T H È Q U E -
La rencontre avec La Bibliothèque, autour de l’exposition de Soly Cissé, aura lieu
le samedi 25 mai 2024 de 15h à 18h.
LES OEUVRES
works
atelier
WORKSHOP
MÉDIAS > Vidéos
À PROPOS
soly cissé
© Cédric Randria
Né en 1969 à Dakar, Soly Cissé enfant s’amusait à dessiner sur les radios que son père, radiologue, ramenait chez lui.
Suivant sa passion, il sort Major de promotion à l’École Nationale des Beaux-Arts en 1996 et commence alors sa carrière d’artiste à l’ascension fulgurante à travers une productivité hors-norme.
En 25 ans, sa réputation traverse les frontières, il devient un artiste reconnu dans le monde de l’art et son succès mêlant peinture,dessin, sculpture ou installations, s’affirme dans plus d’une centained’expositions.
Aujourd’hui son actualité mouvementée l’emmène au dépassement de soi sur les chemins de l’existence, poussé par sa plus grande force motrice : l’impulsion créative.
PR. babacar mbaye diop
Professeur de Philosophie à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, et membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art (AICA-International), ses recherches et ses enseignements portent sur la philosophie et la littérature africaines francophones, avec un accent particulier sur l'art et l'esthétique africains dans une perspective décoloniale. Il s'intéresse également à l'art et à l'esthétique de la diaspora africaine.