apporter du sensible aux problématiques contemporaines
Souffle Azimut est une exposition collective présentée par la galerie depuis début septembre. Elle réunit autour d’une même thématique le photographe sénégalais Ibrahima Thiam, ainsi que le duo d’artistes Mischa Sanders & Philipp Putzer. Ensemble, les plasticiens explorent les questions d’émigration, au plus près des problématiques géographiques, politiques et humaines.
Le propos de l’exposition est un sujet plus qu’actuel. Il s’impose dans les médias et ne cesse de faire les gros titres des journaux depuis les années 1990. Les nombreuses images sont plus choquantes les unes que les autres et se déclinent sous bien des formes. Le cliché d’un corps d’enfant inanimé retrouvée sur une plage turque en 2015 (1) en est sans doute l’exemple le plus frappant.
Plus qu’un évènement artistique, il s’agit en réalité de se demander comment l’art contemporain et les artistes parviennent à poser un regard différent sur la question des migrants, sur l’action de partir et la notion d’interdit.
Immigration et émigration : une réflexion sur les notions de frontières
Les passages tragiques par bateaux sont la forme d’émigration la plus représentée : un fait plutôt intéressant, étant donné que ces derniers ne représentent qu’un faible pourcentage des voyages clandestins. Pourtant ils s’imposent dans les inconscients collectifs comme les plus révélateurs.
C’est par ce biais que l’exposition aborde le sujet. Au sein de l’espace de la galerie, les artistes brisent les frontières entre leurs univers et leurs pratiques respectives. Ils se lient les uns aux autres et s’inscrivant dans une certaine fluidité. Les sculptures, suspensions et objets photographiques révèlent une continuité : les œuvres dialoguent, se répondent sans cesse en fonction des points de vue et de l’endroit où se placent les spectateurs.
L’une des photographie d’Ibrahima Thiam est peut-être une réponse à ce phénomène : occupant l’intégralité d’un mur, cette vague pénétrant dans une grotte semble déferler dans le premier espace d’exposition. La même photographie, d’un format beaucoup plus petit est superposée à la première, créant un jeu d’échelles, une mise en abîme. La scénographie amplifie l’effet produit par l’œuvre : La peur de l’océan ne serait-t-elle pas l’élément qui inscrit un départ clandestin par voie maritime comme l’un des plus tumultueux ? Faisant de ce dernier une représentation iconique de l’émigration ?
Tous ces éléments permettent en réalité d’attirer l’attention sur des visions différentes de ce que l’on trouve dans la presse. Le choc se fait plus doux et s’attarde sur des objets et des techniques particulières. Les embarcations de Philipp Putzer nous interrogent elles aussi : comment des bateaux, construits dans une simplicité et une fragilité ultime, peuvent-ils porter des dizaines d’hommes pendant des jours ?
La dimension poétique permet d’observer la problématique sous un angle différents : celui du sensible, la frontière devient humaine, l’expérience devient vécue, émotionnelle.
Mischa Sanders, quant à elle, vient compléter le discours du premier espace de la galerie avec son installation in situ. Du “grand départ”, nous passons à la question de l’arrivée -de la désillusion diront nous. Une fois les frontières passées, ce n’est pas la liberté, mais plutôt les couvertures de survie qui attendent les arrivants (si ce n’est un renvoi quasi-immédiat dans leur pays d’origine.) les migrants sans papiers connaissent des conditions difficiles, voire précaires sur le sol européen notamment.
L’artiste aborde ces réflexions et dépasse l’image de la frontière qui engendre une véritable scissure entre ceux qui appartiennent à une société et ceux qui en sont étranger.
La mise à l’écart est associée à l’interdit, au mouvement. Pour ceux qui l’ont franchi, ils ne peuvent se libérer de cette dernière et deviennent aux yeux des autres des personnifications même de la frontière. Tout comme l’œuvre de Misha Sanders, La couverture de survie, n’est plus un simple objet, elle devient symboles des difficultés, personnification des migrants eux-mêmes.
Humaniser une traversée par le symbolisme
Une constatation s’impose : l’humanité dont il est question n’est pas – ou peu présente dans l’exposition. Pourtant, cette dernière est le centre du propos : l’absence s’inscrit dans une force métaphorique.
Un choix que l’on retrouve dans d’autres travaux plastiques, comme en témoigne l’installation de l’artiste plasticien Kader Attia, à travers une sculpture intitulée On n’emprisonne pas les idées, réalisée en 2018. L’installation retrace une altercation violente entre les forces de l’ordre et des réfugiés du quartier de Stalingrad à Paris. La scène n’existe plus, mais les objets restent et convoquent un acte passé, des symboles permettant de faire écho de manière beaucoup plus sensible au sujet traité.
La photographie possède aussi un rôle essentiel, c’est un témoignage direct et actuel. Elle retranscrit également une émotion, interpelle et informe. Ibrahima Thiam ajoute à cette dernière les espoirs et les croyances Lébous, en y insérant la présence d’esprits protecteurs de l’ethnie en question. La grotte, environnement souvent sombre et mystérieux devient un véritable réconfort mystique. Elle est mise en parallèle avec des espaces à ciels ouverts dévoilant autant des passages que d’histoires invisibles. Le regard du spectateur devient presque pudique : imaginer les êtres dans ces espaces pour se rendre vers une traversée interdite en devient difficile.
Les embarcations, elles se réfèrent autant à une forme de lien qu’a une forme de séparation. Le bateau devient symbole du passage associé depuis longtemps au voyage, il est synonyme de nombreuses mythologies.
L’art contemporain pour s’inscrire entre espace, actualité et mémoire
L’intervention de l’art contemporain et les créations apportant des réflexions sur l’espace et la mémoire n’est plus à prouver. La thématique de l’exposition s’inscrit également dans cette dynamique. Les victimes sont mis en lumière.
À travers le geste artistique, ils quittent doucement l’anonymat pour retrouver une forme d’humanité, une identité. La commémoration permet ainsi d’accepter et d’avancer vers une forme de libération. La distance est ainsi brisée entre le déroulé des éventements et la prise de conscience de la violence de ces derniers.
La production artistique accompagne l’ensemble des sociétés vers une forme de guérison et d’acceptation, elle permet véritablement de prendre conscience, différemment de certaines tragédies encore actuelles tout en conservant leurs mémoires.
Un point de vue humanisé vient compléter une approche analytique de l’histoire contemporaine, parfois résumé à de simples chiffres et statistiques. La catharsis est bien présente, le silence, en revanche, y perd sa place.
Finalement, aborder la question des migrants au travers d'une exposition d’art contemporain dépasse les problématiques purement géopolitiques. Cela reste un enjeux territoriale et politique, mais cela devient également une remise en question des frontières et de toutes formes de barrières entravant la liberté des citoyens du monde. Au fond, l'objectif réel est de porter un regard différent sur une tragédie qui ne pourra se résoudre seule.
POUR ALLER PLUS LOIN
Exposition Souffle Azimut
Portrait audio Ibrahima Thiam
Portrait audio Mischa Sanders & Philipp Putzer
Notes & Sources
(1) Un officier turc s'approche du corps d'Aylan Kurdi sur une plage de Bodrum, Turquie, 2015, afp.com | Nilufer Demir
(2) Kader Attia, On n’emprisonne pas les idées, 2018.
MAHDI Yasmina, « Art contemporain et immigration : vedettariat ou ostracisme ? », Les cahiers de la LCD,N°1, 2018.
HORSTI Karina, « Art, mémoire et monuments : les tragédies des migrants aux frontières de l’Europe », Communication & langage, N°190,2016.
SERRELL Mathilde, « Que peut l’art pour les réfugiés ?», Le billet culturel, France Culture, 2017.