Résidences et collectifs : le besoin de créer ensemble


Travaux future résidence d’artistes
Amina Benbouchta
Maroc

 

Au sein de OH Gallery,  plusieurs artistes ont à cœur de garder leurs ateliers ouverts, prêt à accueillir un confrère pour partager un moment de création. Qu’il s’agisse d’Amina Benbouchta, de Méné ou encore de Hako Hankson et du duo Mischa Sanders et Philipp Putzer, ils laissent percer, dans leurs parcours, des initiatives d’accueil et de découverte, sous forme de collectifs ou de résidences d’artistes. En d’autres mots, le besoin de créer à travers le collectif, dans un cadre formel ou non, semble s’imposer à eux.

Une résidence d'artiste est, par définition, un lieu d’accueil permettant de recevoir un ou plusieurs plasticiens, pour leur permettre d’effectuer un travail de recherche et de création, sans qu’il y ait obligatoirement un résultat matériel. Habituellement, la résidence est créée par une structure publique ou privée et l’artiste en est simplement l’hôte, motivé par le besoin de rencontrer des structures, des partenaires, tout en partageant ses recherches avec la présence d’autres artistes. Les collectifs d’artistes, quant à eux, sont des groupes d’artistes qui choisissent de travailler ensemble, de leur propre initiative, vers des objectifs communs. C’est d’ailleurs sans doute ce qui nous intéresse principalement dans cette initiative : le besoin de se retrouver dans un lieu donné, impulsion première pour les artistes, qui laissent dans leurs univers, de petites portes ouvertes pour accueillir le passage d’autres consœurs et confrères.

Et ce besoin de partage, d’échange n’est pourtant pas récent : la collaboration dans les arts visuels était déjà présente aux XVIe siècle, où Pierre Paul Rubens s’entourait de spécialistes de la nature morte par exemple. Ou encore dans les années 1960, quand les nouveaux réalistes faisaient bloc en défendant une nouvelle esthétique de l’art contemporain. Deux exemples qui ne sont pas des cas isolés, les périodes historiques sont indéniablement marquées par les collectifs et les échanges artistiques.

 
« Pour un artiste, il est bon de pouvoir partager, de se mettre ensemble pour réaliser quelque chose. »
— Méné
 

Vues de l’atelier et résidence d’artiste de Méné
Dabou, Côte d’Ivoire

 
 

Ce que l’on note, c'est que les initiatives des artistes ne peuvent être réduites aux termes de résidence, ou simplement de collectif en se basant sur les définitions strictes de ces derniers. Au travers de cet article, il ne s’agira donc pas d’analyser les formes de structures d’accueil créées par les artistes, mais bien de s’intéresser plus particulièrement à ce besoin d’échange et de partage, en questionnant sa réelle finalité et ce que cela implique pour la pratique artistique de chacun. Alors, comment l’artiste, par le mouvement et la rencontre, nourrit sa pratique et celles des autres ?

Les identités d’artistes face à l’altérité, au voyage

Deux actions se côtoient et sont au centre de notre réflexion : celle d’accueillir, d’abord, un ou des artistes dans son espace de travail et  celle de rejoindre, de découvrir un atelier nouveau par le mouvement et le voyage. Dans les deux cas, il s’agit d’être attentif à de nouvelles visions et de nouveaux points de vue pour nourrir sa conception du monde et son travail. En d’autres termes, la vision d’autrui viendrait nourrir l’identité propre de l’artiste et par extension, celles de ses œuvres. Ce serait donc la première réelle motivation qui pousse les artistes à se réunir. 

Cette nécessité de construire son identité et de cerner son individualité motive les plasticiens à aller se confronter à la vision et à la pensée d’autrui. L’introspection coupée du monde n’est pas une analyse suffisante pour parvenir à cette conscience de soi, bien au contraire : cette étape comprend le besoin de se tourner vers l’extérieur, pour être en capacité de se situer dans le monde d’aujourd’hui. Apprendre à mieux se cerner, connaître les différentes facettes de soi serait, à priori, une première ouverture à l'Autre. Le Moi se construit d'ailleurs par rapport à cet Autre, dans un mouvement quelque peu contradictoire : nous évoluons au contact des autres, en constatant des similitudes qui nous rapprochent et des oppositions qui nous séparent. Ainsi, les rencontres, les liens peuvent nous amener à évoluer, à reconsidérer un point de vue ou à modifier nos goûts et nos visions.

Ces influences externes à soi induisent un travail identitaire permanent : par le biais d’échanges, une personne peut voir son système de valeurs changer et composer une nouvelle vision du monde. Pour Hako Hankson, la rencontre de ses pairs prend naissance avec des artistes congolais qui viennent se réfugier au Cameroun suite à la guerre. Il leur ouvre les portes de son atelier et partage avec eux des moments de création, d’échange autour de leurs pratiques respectives. La découverte des uns et des autres facilite le contact et le travail en collectif. Cette invitation et ces rencontres donnent à Hako Hankson le goût de la transmission, le plaisir de donner accès à son savoir pour permettre aux identités des plus jeunes de se construire avec de nouvelles références.

 
« Un artiste apprend à tout âge, c’est important de s’actualiser, d’innover. »
— Hako Hankson
 

Quelques années plus tard, l’artiste accompagne alors les jeunes générations d’artistes face à l’absence de structure dédiée à l’apprentissage des beaux-arts au Cameroun et sensibilise les enfants dès l’école primaire à la création et au monde de l’art. L’espace se nomme IN AND OFF ART CENTER et se situe à Douala, au Cameroun.

 

Vues de l’atelier et résidence d’artistes IN and OFF art centrer de Hako Hankson
Douala, Cameroun

 
 

Concernant l’action de partir, d’aller à la rencontre d’un ou des autres, le constat est le même : Qu’est-ce qui peut bien pousser un artiste à aller à la recherche de quelque chose qui n’est pas soi, dans le but d’affirmer davantage son individualité ?

Pour Victor Segalen (1), ce serait la recherche du “sentiment du divers”, c’est-à-dire la nécessité d’épouser l’inconnu qui en serait un élément de réponse. Pour l’auteur, “l’exode” est le terme qui qualifie le phénomène de retour à soi après avoir traversé le divers. Cet exode demande de se plonger dans le regard de l’autre, d’adopter le point de vue opposé : dans le domaine culturel, l’altérité n’existe pas - l’existence se résume simplement à un “je”.

Se retrouver dans un endroit différent, par la découverte et les rencontres, permet à l’individu de suivre une forme de parcours initiatique, comme une forme de désir qui s’insère entre Moi et le monde pour répondre à des questions identitaires. Par le biais de la découverte, le plasticien fait du domaine de l’art contemporain un laboratoire de recherche d’identités. “L’artiste voyageur” concentre le goût pour le mouvement, la passion, le changement et le désir de mobilité. La découverte est indissociable de l’expérience, car celle-ci demande à un individu de modifier son attitude initiale pour pouvoir s’adapter à de nouvelles conditions : cet effort modifie directement la structure de soi.

Faire face aux autres, au voyage et à la découverte serait, dans un premier temps, l’un des meilleurs moyens d’accéder à l'entièreté de son identité. Cela permettrait ainsi à chaque artiste de se connaître davantage, d'affûter sa vision du monde et sa démarche créative. Pourtant, l’action de se retrouver, soi avec les autres est moteur d’une nouvelle entité appelée “nous”.

Avec la création de leur association et de leur dispositif de résidence Atelier M, les sculpteurs Mischa Sanders et Philipp Putzer proposent un dispositif d’accueil à Menoux, dans le département français de la Haute-Saône. La première artiste accueillie, Ruth Unger, une plasticienne allemande est venue produire et exposer sur place, en compagnie de ses proches pour une durée de trois semaines. Par cet accueil total et libre, le constat est clair :

 
« Il s’agit véritablement d’inviter les artistes à s’approprier l’espace et à créer du lien  »
— Mischa Sanders
 

La notion de rencontre et de découverte prend alors tout son sens : il s’agit de favoriser les échanges entre artistes locaux et internationaux, d’amener l’art contemporain à la population locale mais aussi de s’immerger pleinement en utilisant les matières disponibles dans la régions, d’entrer en contact avec de nombreux interlocuteurs sur place et de s’inscrire dans le territoire rural par la création.

 

Vues de la résidence d’artiste créer par Mischa Sanders & Philipp Putzer : Atelier M
Menoux, France



Collaborer et co-créer : Essence même de la création

La production d’œuvres devient alors un processus qui repose sur une narration, un mythe à élucider ou une identité collective à défendre. L’une des initiatives menée par Amina Benbouchta en illustre bien le propos. Elle fait partie du Collectif 212, réunissant plusieurs artistes marocains. S’engager dans un collectif est une action consciente qui reflète le besoin de défendre un point de vue, une vision du monde aux travers des subjectivités qui font groupe. Le collectif 212 regroupe des artistes à l’esthétique dite de minimalisme expressif. Il s’agit aussi d’inscrire un processus de changement dans le paysage socioculturel marocain. et de mettre l’effort collectif au service d’un renouveau esthétique sur la scène nationale et internationale.

Ces actions mettent surtout en avant l’importance de l’expérience, comme la traversée du divers que nous avons développé un peu plus haut. La rencontre et l’engagement dans une cause génèrent des expériences d’aventures et de découvertes. Les artistes qui prennent part à un groupe deviennent des chercheurs, des observateurs partant à l’exploration d’eux même et de tout ce qui est extérieur. Le groupe permet alors la mise en commun des connaissances, poussant chacun des participants à se confronter et aller chercher au-delà de ses connaissances et de son confort pour pouvoir prendre conscience de sa place dans le monde. Les artistes peuvent parfois s’emprunter, les uns les autres, l’iconographie, les méthodes ou les formes des uns et des autres.

 
« Si les hommes sont ensemble (…) ce n’est pas à cause du besoin qu’ils ont les uns des autres (…) ils sont faits de cette manière et l’association est pour eux irrépressible. Toute association implique un supplément d’humanité. »
— Jöelle Zask
 

Cette action, donc, dépasse le fait de simplement se retrouver ensemble pour nourrir son identité et son processus créatif. Joëlle Zask parle de “Faire alliance(2) . Comme l’écrit si bien l’autrice, agir à travers le collectif n’est pas une action éloignée de notre humanité, bien au contraire : elle apparaît nécessaire pour chacun d’entre nous au sein d’une société. Se retrouver auprès du collectif peut être considéré comme une action quasi naturelle, bien que cette affirmation puisse être discutée et discutable. En nous basant sur les études et les écrits de Joëlle Zask, “Faire Alliance” peut être associées à un besoin de participer : il s’agit, pour un individu de prendre part à un groupe motivé par une action commune, cela découle d’un choix personnel et de pensées, de réflexions partagées par les autres membres de ce même groupe. Ce serait donc à ce niveau que se situe le “nous” que cherchent à composer certains artistes en créant ou en intégrant un collectif.

Plusieurs actions composent le “Faire Alliance” : prendre part, apporter une part et recevoir une part à travers les actions menées et le groupe intégré. La participation est un terme indéniablement lié aux domaines politique et démocratique : les citoyens participent directement ou indirectement à la démocratie mise en place, sous une forme participative. Ils sont  associés  au  processus  de  décisions  importantes,  directement  liées  aux problématiques qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne. Cet exemple serait le centre du Faire Alliance : apporter sa participation et sa voix, avoir recours à différents types de ressources, de biens, pour en retirer des bénéfices.

 

Conclusion

Les résidences, les collectifs d’artistes sont des formes d’initiatives permettant aux artistes de se réunir et de s'imprégner des pratiques des uns et des autres. Cela permet aussi d’induire une réflexion à la fois personnelle et collective, en produisant des savoirs nouveaux sur le monde.

Et puis, il y a d’autres paramètres que le monde de l’art impose aujourd’hui. Comme le souligne Mischa Sanders, une résidence d’artiste créée et portée par des artistes prend une autre dimension : celles d’accueillir des consœurs et confrères dans des conditions propice à la liberté et à l’exploration, avec un suivi, un accompagnement pour permettre à tous de sortir des poids administratifs et de la pression du marché.

Ces actions font des artistes contemporains des explorateurs qualifiés d’ “Homo viator” (3) par le chercheur et critique d’art Nicolas Bourriaud. Les signes et les formes renvoient à une expérience de la mobilité et du déplacement, de la traversée. L’artiste invente alors de nouveaux parcours dit sémionaute, en mouvement et en évolution permanente. C’est en construisant des constellations affectives, en tissant des groupes d’échanges et de contacts que les pratiques artistiques évoluent.

 

Notes

  1. Victor Segalen, essai sur l’exotisme, biblio essai, le livre de poche, 1999.

  2. Joëlle Zask, Participer, Essai sur les formes démocratiques de la participation, Paris, Le Bord de l'eau, 2011.

  3. Nicolas Bourriaud, Radicant. Pour une esthétique de la globalisation, Paris, Denoel, 2009.

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