autour de l’exposition “YOONOU NDOKHE, LA VOIX DE L’EAU” de ibrahima thiam, les lébous au Sénégal

Les populations d'Afrique subsaharienne se sont installées progressivement à travers une succession de migrations, passant d'abord par le Sahara, puis la vallée du Nil, la boucle du Niger et le fleuve Sénégal. Le Sénégal abrite une diversité ethnique[1] notable où coexistent plusieurs groupes partageant des valeurs communes, telles que le cousinage à la plaisanterie[2], dans un climat social harmonieux. Parmi les principaux groupes, on trouve les Wolofs, majoritaires et présents notamment à Dakar, Thiès et Louga, ainsi que les Peuls (ou Fulas), dispersés dans tout le pays, particulièrement dans le Fouta Toro. Les Sérères, installés à Fatick, Kaolack et Diourbel, et les Lébous, habitant la presqu'île du Cap-Vert, sont également des ethnies importantes. En Casamance, les Diolas, Mandingues, Balantes, Mancagnes et Bainounks partagent une culture régionale forte, ancrée dans les traditions agricoles. Dans l’Est du Sénégal, les Bassaris et Coniaguis se distinguent par des pratiques culturelles uniques, souvent animistes. Les Toucouleurs sont principalement établis dans la vallée du fleuve Sénégal, tout comme les Soninkés, qui partagent des liens historiques avec les Peuls. Les Bambaras et les Maures, bien que minoritaires, enrichissent également ce paysage ethnique varié, présents respectivement dans certaines zones urbaines et à la frontière nord avec la Mauritanie. Chacun de ces groupes contribue à la richesse culturelle et au dynamisme social du Sénégal.

Les Lébous, très proche des Wolofs,[3] est un peuple négro-africains dont les origines sont souvent sujettes à diverses interprétations[4]. L’histoire de leur installation sur la Presqu'île du Cap-Vert (pointe extrême occidentale du Sénégal) où vivaient déjà les Socés[5] commence probablement dans le contexte des échanges inter-africains et de la colonisation européenne, qui a bouleversé les structures sociales, économiques et culturelles des populations côtières. Leur migration s'est faite par vagues successives de petits groupes venus de diverses régions du Sénégal, Chaque nouvelle composante apportant une partie de sa culture à l'édification du groupe. (Thiam, 1970).

Ces familles se sont dispersées en plusieurs lieux appelés Penc[6] le long du littoral sénégalais, de la grande-côte (Saint-Louis) jusqu’à la Petite-Côte (Mbour), et de façon plus dense sur la presqu’île du Cap-Vert et la zone de Rufisque. Les 12 villages traditionnels de Dakar portent les noms de Kaay Findiw, Santhiaba, Mbakeundeu, Guy Salaan, Hock, Ngaraaf, Thieurigne, Yakh Dieuf, Diècko, Mbot, Thieudeme et Kaay Ousmane Diène et sont en liens avec 12 plages. Dans chaque Penc se trouve généralement un grand arbre, au pied duquel se tiennent les conseils de village, un espace en plein air où sont organisées les fêtes et les cérémonies, ainsi qu’une mosquée. Historiquement les Lébous y pratiquaient la pêche maritime et l’agriculture maraîchère surtout dans les zones de Niayes[7]. À l’image des autres ethnies du Sénégal, les Lébous restent toujours attachés à leurs croyances traditionnelles, malgré leur adhésion aux religions abrahamiques (Ndiaye, 1981). Ces croyances sont intégrées dans leur vie quotidienne et leurs pratiques culturelles, et témoignent de la richesse du patrimoine oral et spirituel.

Dès leur arrivée sur la Presqu’île du Cap-Vert au début du XVᵉ siècle, les Lébous ont fait un pacte avec les génies protecteurs des lieux et négocient ainsi la possibilité de leur cohabitation (Sylla, 1992). Ce pacte engage toutes les générations et ne peut être rompu sous aucun prétexte. La rupture de cet accord peut entraîner des conséquences néfastes sur l’homme et son environnement. Les Lébous perpétuent ainsi leurs accords avec les génies par des offrandes et sacrifices en leur hommage.  En outre, “si les Lébous ont des connaissances sur la mer, c’est parce qu’ils habitent au bord de la mer et ont longtemps cohabité avec les génies de l’eau. Tous les secrets que les Lébous connaissent sur la mer leur ont été révélés par les Jinné” (Sarr, 1980).


Il existe beaucoup de génies comme Ndeuk Daour Mbaye (Dakar), Maam Njaré Jaw et Maaam Woré Moll (Yoff), Maam Mbossé (Kaolack), Maam Nguedj (Joal-Fadiouth), Maam Mindiss (Fatick), Mame Coumba Castel (Gorée), Maam Coumba Lamb (Rufisque), Maam Coumba Paye (Mboth), Maam Coumba Bang (Saint-Louis), Ker Cupaam (Popenguine), Maam Ndogal (Bargny), Fenda Goudeyni (Bakael), Maam Ndéw (Djilor), Mbaye Thiowe (Ouakam), Maam Nguésou (Mboule) et Coumba Thioupane que l’on retrouve jusqu'au Brésil.  Tous jouent un rôle dans plusieurs domaines allant des croyances spirituelles à la gestion pratique des ressources naturelles. De plus, considérés comme protecteurs des sources d’eau, ils assurent une fonction cruciale dans les cérémonies de purification et servent de symbole d’identité pour les Lébous.

Maam Coumba Castel est une figure légendaire au Sénégal, souvent associée aux esprits ou génies de l'eau qui sont profondément enracinés dans les cultures locales, en particulier sur l'île de Gorée. Selon la tradition orale, les génies de l'eau, appelés généralement "Djinns" ou "Maam Coumba," sont des esprits qui résident dans les cours d'eau, les rivières et les mers. Mame Coumba Castel est vénéré comme la protectrice de l'île de Gorée. Elle est généralement évoquée dans les histoires locales comme un esprit bienveillant, mais puissant, capable de bénir ou de punir ceux qui ne respectent pas son territoire ou ses règles. Les habitants de Gorée, et parfois de Dakar, honorent Maam Coumba Castel à travers des rituels et des offrandes, en priant pour la protection, la santé et le bonheur. Les récits et croyances autour de Mame Coumba Castel révèlent non seulement le respect que les gens ont pour la nature et ses forces, mais aussi l'importance des génies dans la compréhension de l'histoire et de la culture sénégalaise. « Les vieilles gens de l’île racontent parfois, sans sourire, qu’un génie tutélaire, Maam Coumba Castel, veille sur Gorée et la préserve de tout ce qui menace son âme. C’est Maam Coumba Castel qui aurait, par exemple, empêché les Français de jamais achever la digue qui aurait dû relier Gorée au continent, faisant des vieilles rues paisibles une banlieue de Dakar » (Michel, 1992). “Les pratiques lébous de la Presqu'île du Cape Vert sont aujourd’hui en péril, menacé par l’urbanisation agressive, la destruction et l’occupation de certains sites sacrés ou encore l’abandon de certaines pratiques. Et pourtant à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique et de la promotion d’un développement durable, le système culturel développé par les Lébou offre un parfait exemple de gestion saine des rapports entre les individus et la nature”[1]

L'artiste, Ibrahima Thiam est façonné par les légendes sur les divinités Lébous et leurs relations à la nature, en l’occurrence les villes côtières telles que Gorée, Dakar, Rufisque et Saint-Louis. Travaillant principalement avec la photographie, il s’intéresse non seulement à la mémoire, à l’archive, à l’oralité africaine et aux histoires imaginaires, mais aussi à l’eau[2]. Il utilise la photographie comme support narratif et outil de représentation. Dans sa nouvelle exposition pour la 15ᵉ édition de la Biennale de l’art africain contemporain Dak’Art, Ibrahima Thiam établit dans son exposition “ Yonou Ndokhe, La voix de l’eau” un lien, un dialogue entre les différents génies de l’eau au Sénégal. Cette exposition est une invitation à la rêverie, une porte ouverte sur l’imaginaire du monde Lébou. En perspective après plusieurs travaux sur les génies de l’eau au Sénégal, Ibrahima Thiam a compris que de nos jours, les pratiques culturelles et religieuses ne sont plus limitées à leur pays d’origine, mais peuvent également être étudiées dans plusieurs localités. Il a ainsi décidé dans sa nouvelle collaboration avec OH GALLERY d’élargir ses frontières et s’intéresse à d’autres génies de l’Afrique de l’Ouest comme : Orishas[3], Nommo[4] et Mami Wata[5], etc.

 


[1]  Extrait de DAKARMORPHOSE, projet de recherche par Carole Diop & Nzinga Mboup

[2] Un monde à part où vivent les êtres les plus extraordinaires et les plus puissants.

[3] Les Orishas, sont des divinités originaires d’Afrique de l’Ouest et plus précisément des traditions religieuses Yoroubas au Nigéria et au Bénin.

[4] Nommo, est cet esprit aux pouvoirs mystérieux et extraordinaires et parfois redoutables auxquels les Dogons au Mali témoignent une vénération absolue.

[5] Mami Wata est une divinité aquatique, souvent représentée au bord de l’eau comme une sirène, une femme-poisson (parfois décrite aussi comme femme-serpent), très puissante.

[1] La définition du mot « ethnie » porte à polémique, mais le critère linguistique est aujourd’hui privilégié pour distinguer ces ensembles et sous-ensembles de population.

[2] C’est un jeu autorise les membres de certaines ethnies à se taquiner et même parfois à se critiquer dans l’humour.

[3] Peuple auquel les Lébous emprunta la langue.

[4] Certains chercheurs font remonter leur provenance des groupes venant de la région du fleuve Sénégal où de l’Afrique de l’Ouest. D’autres hypothèses suggèrent des liens avec des populations berbères ou mauritaniennes qui auraient migré vers la côte atlantique.  

[5] Terme utilisé par les Wolofs pour désigner toute personne de l’ethnie mandingue.

[6] Le Penc désigne à la fois une communauté et lieu où se réunit cette communauté dans la culture Lébou. Prenant la forme de concessions regroupant plusieurs maisons familiales, les Penc étaient traditionnellement centrées autour de l’arbre à palabres au pied duquel se tiennent les conseils de village, un espace en plein air, ainsi qu’une mosquée avec un minaret caractéristique.

[7] Zone géographique du nord-ouest du Sénégal constituée de dunes et de dépressions propices aux cultures maraîchères.

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