Nous sommes dans les Jardins de la Résidence de France. C’est un lieu privé, peu ouvert au public d’ordinaire, et qui renferme des trésors d’architecture. Une bâtisse moderniste notamment, mais aussi des « monuments » au sens où l’entendait Aimé Césaire : des arbres, de la nature, un paysage. Si, comme le notait le poète, le « paysage est le lieu de toutes les métamorphoses », alors cette exposition en est l’expression. Dix artistes ont été conviés à créer in situdes œuvres dialoguant avec la flore environnante, proposant un parcours esthétique autour de notre relation au vivant dans son ensemble.
Mettant en lumière à la fois la beauté du vivant et la créativité des artistes, c’est aussi un parcours botanique, qui nous mène du sapotillier au baobab, en passant par un incroyable calebassier.
Célébrant le lien puissant et intime que l’humain entretient avec les arbres et les végétaux et ce que l’on appelle l’intelligence végétale, l’exposition est à mi-chemin entre une expérience de land-art et un parc de sculptures. Ainsi, les guerriers de fer à béton de Soly Cissé semblent être les gardiens de ce temple ouvert aux quatre vents.
Le monde végétal constitue 82,5% de la biomasse terrestre, l’Homme ne représentant que 0,01% de cette masse organique… « Il n’y a rien de purement humain, il y a du végétal dans tout ce qui est humain, il y a de l’arbre à l’origine de toute expérience », rappelle le philosophe Emanuele Coccia. C’est ce que nous dit en substance Alioune Diouf avec une sculpture en sable représentant la terre-mère, tandis que Kwami da Costa nous rappelle aussi ce lien avec la terre, via toute une symbolique liée aux nouveaux-nés, au Togo, son pays natal. Oumar Ball et Alun Be évoquent à leur manière le désastre écologique lié à la coupe des arbres dans nos espaces urbains « développés ». Aliou Diack les sacralise avec une installation glaçante appelée « Enterré vivant », Férielle Doulain-Zouari évoque les rapports qu’entretiennent les formes produites par la nature et celles produites par les humains, Dior Thiam s’interroge sur la notion de Paradis, tandis que Marc Montaret décide de nouer son destin au tronc du baobab.
Cette exposition fait appel à tous nos sens : la vue mais aussi bien sûr l’odorat et le toucher, stimulés par les différentes essences et matières du jardin, ainsi que l’ouïe, avec deux pièces sonores et « le chant de sang des flamboyants » (Césaire, encore) accueillant l’œuvre de Johanna Bramble qui, elle aussi, tisse, au sens propre comme au figuré, un lien entre l’Homme et la Nature.
Les interactions entre les artistes et les différentes espèces sont poétiques et spirituelles, menant à un animisme revisité, en totale rupture avec le rapport utilitariste, et malheureusement banalisé, à la Nature. Laissons les derniers mots au poète martiniquais dans Une tempête (1969) : « Tu crois que la terre est chose morte… C’est tellement plus commode ! Morte, alors on la piétine, on la souille, on la foule d’un pied vainqueur ! Moi je la respecte, car je sais qu’elle vit ».
Olivia Marsaud