DIALOGUES POÉTIQUES D’ART BASEL, ALIOU DIACK
A Bâle, du 14 au 19 juin dernier, Aliou Diack a présenté sa dernière œuvre monumentale, Earth of Memory. Une installation de cinq toiles de trois mètres quatre vingt de haut sur plus d’une dizaine de mètres de long, qui n’a eu de cesse d’intriguer les regards des nombreux visiteurs. Pour être appréhendée, l’œuvre doit être apprivoisée. Elle nous demande de la patience et de la compréhension, engageant des dialogues et des échanges intéressants entre le public et les membres de OH Gallery.
La matière est particulière...Est-ce de la toile, du tissu ou du cuir ?
C’est bien une toile, une toile de lin pour être exact. Ni un tableau, ni une tenture, Aliou Diack choisi de libérer la toile de son châssis. En réalité, le travail des textures nous trouble dans l’identification de l’œuvre. Les éléments naturels, jetés, superposés les uns aux autres viennent solidifier l’ensemble. Les pigments fusionnent avec le support de l’œuvre, et couches après couches, les cinq toiles en sont durcies, figées dans le temps par de la sève d’arbre.
Est-ce de la peinture disposée sur la toile ?
Seuls des éléments naturels et du pastel y figurent. Aliou Diack crée lui-même, accompagné de sa famille les pigments qu’il choisit de semer sur ses œuvres. Dans sa création, c’est un véritable rituel qui se déroule jour après jour. La toile est lavée dans, abandonnée au grès des éléments, elle rencontre les pluies sénégalaises, les sables, les vents et les terres marquées par toute forme de vie.
La semence débute ensuite : à coup de pigments, mais aussi de plantes médicinales. C’est un processus long qui induit un état d’action et surtout de contemplation des aléas de l’environnement. Comme lors d’un rituel chamanique, Aliou Diack vient répéter ses étapes à plusieurs reprises jusqu’à la fin de la réalisation, où il ne lui restera plus qu’à révéler les quelques silhouettes et forment vivantes, en plein mouvement sur la toile.
L’ensemble est vivant, les formes semblent s’y déplacer à chaque regard...
C’est bien toute la force des œuvres de l’artiste : ce mouvement perpétuel qui se retrouve figé dans ses œuvres. Aliou Diack a choisi la toile ou le papier pour capturer des formes polymorphes, qui semblent se construire sous nos yeux. Elles sont soulignées par ses traits mais jamais refermées, achevées, parce que le risque serait d’en supprimer l’impulsion, d’en ôter la liberté de mouvement et d’existence.
Nous sommes libres d’y trouver quelques formes animales, des visages humains qui apparaisse pour la première fois, d’y chercher et d’observer la vie, discrètement caché dans un environnement que nous ne maîtrisions pas pour y observer une faune et une fleur sauvage, autonome.
Y a-t-il quelque chose de l’autre côté, derrière l’œuvre ?
En s’approchant de l’ensemble, les yeux curieux ne pouvaient s’empêcher de regarder entre les différents panneaux et derrière ces derniers, comme pour en découvrir la continuité de l’univers créé par l’artiste. Par sa dimension et son aspect, Earth of Memory est une invitation à l’absorption. Elle nous enveloppe, prend possession de l’espace et invite l’imaginaire des publics à se mêler à celui de l’artiste.
La sensation de place, que l’on trouve d’une facilité déconcertante s’impose petit à petit. À ce moment précis, notre existence, en dehors de l’œuvre, réussit à se frayer un chemin dans l’abstraction des textures.
L’immersion est une thématique que l’artiste aborde depuis plusieurs années déjà à travers différentes réflexions plastiques : D’abord par la taille des œuvres, qui sont principalement de grand format, par le travail des couleurs et des textures, qui permettent de créer une vision en profondeur et en surface, tout en jouant sur les ombres, mais aussi, pour le cas de cette œuvre-ci, à travers la disposition des cinq toiles qui peuvent venir se suivre, se chevaucher et entrer en écho les unes avec les autres créant du rythme et des dissonances.