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Aliou Diack et Ousmane Sow : Prolonger un geste artistique en dialogues silencieux

Du 19 mai au 2 juin 2024, la Maison Ousmane Sow - baptisée « Le Sphinx » par le sculpteur lui-même - accueille entre ses murs une exposition de Aliou Diack intitulée Pèlerinage. Créée pour et en résonance avec ce lieu, cette série fait honneur aux nombreuses sculptures exposées aux différents étages de la maison. Celles-là même qui avaient voyagé au Documenta de Kassel en 1992, à la Biennale de Venise en 1995 et au Pont des Arts à Paris en 1999, consacrant Ousmane Sow dans sa soixantaine comme un artiste majeur de l’art contemporain. S’il a consacré des séries gigantesques à différents peuples d’Afrique - les Nubiens du Soudan, les Maasaï du Kenya et de la Tanzanie, les Peuls de l’Afrique de l’Ouest ou encore les Zoulous d’Afrique du Sud, - Aliou Diack puise lui aussi dans des traditions anciennes - les peintures rupestres et pariétales - et rend hommage à une nature commune et intemporelle. 

Copyright images Maison Ousmane Sow par Béatrice Soulé.

Donner vie à la matière

Depuis son inauguration à la biennale de Dakar en 2018, il est possible d’entrer, au quartier Virage à Dakar, dans la maison conçue et fabriquée par le sculpteur Sénégalais Ousmane Sow. Celui-ci y a vécu une vingtaine d’années, laissant son empreinte même après sa mort en 2016. Au-delà de l’imaginaire que dégagent sa chambre ou sa salle de méditation, ce sont les traces concrètes de son passage sur terre, ses sculptures, qui habitent maintenant la maison. Habiter, oui, c’est bien le terme, car ses géants sont capturés dans un mouvement éternel. Alors retrouver les œuvres de Aliou Diack, jeune artiste plasticien Sénégalais, aux côtés de celles de Ousmane Sow, ne fait que prolonger la vie silencieuse de cette maison, la vie des matières. Écorces d’oranges et plantes médicinales pour l’un, matières synthétiques, terre et pigments pour l’autre ; chacun glane des matériaux déjà éprouvés par le quotidien. Aliou pile et tamise ; Ousmane frappe et brûle. Ils insufflent une vie propre à leurs mélanges en les travaillant, en les modelant, parfois directement au doigt. Ils les offrent à la pluie, au soleil et aux vents. Ainsi les éléments fixent-ils les couleurs sur une toile, ainsi agissent-ils sur des pâtes qu’Ousmane Sow a modifiées, testées, améliorées tout au long de son parcours, oubliant parfois lui-même leur composition. 

Copyright images Maison Ousmane Sow par Béatrice Soulé.

Portrait d’une figure inspirante

Le petit havre de paix aux teintes chaudes qu’est la Maison Ousmane Sow, avec ses plantes vertes disséminées dans la cour, est une respiration parmi les nombreux immeubles qui sortent de terre dans le quartier Virage. Accroché sur le mur extérieur, on tombe rapidement sur le portrait d’Ousmane Sow par Aliou Diack. Le tableau, en face des petits escaliers qui permettent d’accéder aux premières pièces de la maison, ouvre l’exposition Pèlerinage. Une douceur se dégage des tons couleur siennes de cette toile aux contours blancs, accentuée par les murs ocres de la maison. Dans la partie inférieure du tableau, des mains accueillantes sont tournées vers l’avant ; des mains aux multiples symboliques, les mains d’un sculpteur qui fut aussi kinésithérapeute. De même qu’Ousmane Sow a consacré une série intitulée Merci aux figures qui ont marqué sa vie, Aliou Diack lui rend hommage à son tour. 

Parmi plusieurs paires d’yeux identifiables selon l’angle de vue, deux pupilles se dessinent dans la moitié haute du tableau et regardent le visiteur avec une profondeur troublante. Avec la puissance du regard qui féconde son tableau, Aliou Diack se fraie un chemin vers l’essence même du travail du sculpteur : la présence animée qu’il insuffle à ses sculptures. Cheminant parmi elles, des regards expressifs surgissent ici et là. Ceux, graves et pensifs, d’un paysan au chapeau de paille. Ceux encore, préoccupés, de Victor Hugo aux côtés de Gavroche. Les yeux empreints d’une folie extatique d’un joueur de tambour Nubien lors d’une fête. Une intériorité vibrante s’incarne par ces yeux, mais ne sont-ils pas le reflet de l’âme ?


INCARNATIONS MYSTÉRIEUSES

Ousmane Sow avait réussi à saisir le mouvement, l’expression d’un regard, et à l’intégrer dans ses sculptures. Les tableaux d’Aliou Diack contiennent une forme de vie large, humaine, animale, végétale. C’est un plongeon au cœur d’une forêt obscure et mystique. Avec ses joues aux longs poils noirs, sa bouche large et épaisse, sa peau craquelée, l’être hybride du portrait prend lui aussi un aspect à moitié animal. À travers ses yeux honnêtes et graves, ce sont toutes les créatures de la forêt qui regardent le visiteur. Si la série Pèlerinage fait cohabiter les corps de Ousmane Sow avec un imaginaire commun - les formes guerrières des lutteurs, la proximité de certaines figures, les motifs de scarification, - l’artiste y injecte pour autant de nouvelles présences issues de son propre vécu. Ousmane Sow et Aliou Diack, chacun à leur manière, prolongent l’intuition d’une condition partagée qui relie tout un chacun.